TRIPTYQUE VENITIEN
V1.
LA MORT A VENISE, qu'ils
avaient
vu cet automne là. Rentrés chez nous nous rêvions tant sur ce film, sa beauté,
ses couleurs, nous relisions le livre tout ce qui nous manquait était de connaître
cet univers. Huit jours plus tard.
ils se réveillèrent derrière un banc public, collé au mur de la cabane des
jardiniers d'un
piccolo parco à
Venise.
Rêver ne nous avait rien coûté,
le livre de poche "mille balles" , 24
heures de stop quelques sourires et un sandwich d'autoroute;
nous étions heureux et riches. Venise en fin d'automne---
les touristes sont partie, les brumes sont arrivés et avec elles quelques
voyageurs. Les hôtels coûtent sûrement peu, mais notre micro-économie
de la route nous a appris depuis longtemps que <dépenser = raccourcir
le voyage> un des commandements
qui manquent dans l'ancien
testament. En
suivant bien son nez on trouve comme tous les animaux des coins parfaits pour se
planquer et dormir peinard.
Ah,
ce banc public, qu'est-ce
que je l'ai
aimé. Il symbolise ã tout jamais la vieille hospitalité de cet ancien port
international, de bien avant les passeports, l'autostop,
et le charter pour ceux-qui-savent-pas-voyager. Un petit jardin nous
appelle. Une cabane nous appelle. La porte nous appelle
-à tort; elle est fermée. Notre nez renifle :là, sous ces branches de lierre
or et cuivre, "Qu'en
penses-tu? Vu l'état
des duvets on ne craint rien, le vieux plastic nous séparera de la montée
de la mer (qu'il
est drôle) et milles feuilles de tombées, la moitié sur ce banc et le reste,
un peu sur toi, un peu
sur moi, on verra bien, cela nous tiendra chaud. On boit un coup au bistro, on
dort comme des loirs, on revient au bistro por le capuccino du matin et se laver
les dents. "Possiamo lasciare da lei questa ropa?" Très à l'italienne
ils répondent: "Non c'è
problema,signori". Libres et légers nous nous sentons, belle et embrumée
la ville nous attend. Il vaporetto,et ses sons nostalgiques, il cimetero
S.Michele qui donne tant envie de dessiner les sarcophages du dix
neuvième,
les musées. Oui, les musée reçoivent
des subventions pour être utiles et la carte d'étudiant
a la même odeur. L'ensemble
fait la meilleure
salle de bain gratos en voyage, très intello j'ai
toujours trouvé. J'aurais
aimé de temps en temps au moins une
belle
oeuvre d'art
sur ces carrelages hygiéniques.
Un
jour un ministre de la
culture
qui aurait
fait du stop comprendra---peut être.
Quelque jours plus tard l'atmosphère
de Venise commence à nous
peser-c'est
l'autre
côtè de LA MORT A VENISE . Nous levons notre pouce et prenons un peu d'air
dans la vallée d'Áoste
où la gare nous chauffe sa salle d'attente
au poêle de bois pour nos bonnes gueules de voyageurs sans temps.
V2
Trois ans plus tard je monte en stop de
Napoli avec mon amie italienne. Maintenant je vois le pays avec d'autres
yeux et oreilles. Je communique avec les gens dans leur langue, leurs mœurs
me sont devenus familières.
La
preuve: je connais au moins 15 sortes de pasta différents et la sauce qui
va avec. Par hâte on a mal dormi en route: sous un pont et le lendemain matin
on voit que les ordures (italiennes) étaient
à vingt mètres.
Cela a expliqué cette étrange
odeur. Une autre nuit dans la station d'essence
avec des réverbères,
interrogatoire-premier-degrée.
Cela nous mettait
de mauvaise humeur? Pas
le moins du monde, Venise approche et le soleil sourit.
"Cosa ne pensi, Silvana, troveremo la mia
panchina nel giardinetto? Mi piacerebbe tanto!" Elle sourit: "Comunque,
troveremo Venezia, troveremo la Piazza, il Canale, la pittura- che ci importa
la panchina? Dormiremo dove dormiremo." Elle a raison . Mais le stoppeur
comme celui qui prend l'avion
: on a ses habitudes. Et moi mon banc public. Et
bien sur sans
chercher mes jambes m'y mènent directement.
Le bistro est différent, c'est
l'été,
les gens sont là mais ils gardent nos sacs comme avant, bien
que sans sourire. Venise est
rayonnant, loin de l'atmosphère
d'il y
a quelques
années. On s'y
adapte -nous décidons de prendre un café Piazza San Marco, comme font les gens
bien. Comme c'est beau,
comme c'est
beau."l'addition s.v.p." on regarde ; ça alors! C'est une
nuit à l'hôtel.
Doucement je glisse nos sacs côté départ.... dignement et surtout rapidement
je disparais dans la foule. Pliée en deux de rire Silvana me rejoint. On
fait une sieste tranquille dans notre petit jardin comme des enfants....que nous
sommes profondément.
V3
Des années passent. On est quatre dans une
vieille volkswagen. A Venise le carnaval bat son plein. On y va comme tout le
monde, on sait où on dormira et on a de quoi se payer un pot où on veut. Les
déguisements,
cela doit être super etc.etc.
On arrive sous une pluie battante, comme des milliers d'autres
touristes. Les belles rues sont réglées
en sens unique ou bien une corde au milieu divise le public en
montant/descendant. Les sardines dans une boîte du supermarché ont à peu près
autant de place. Mais
dans une boîte il ne pleut pas et les sardines aiment l'eau.
Où
est la joie, où est la liberté? Je rends visite à quelques amis à Mestre la
spaghetti est bonne. Deux jours plus tard nous remontons dans la voiture, nous
faisons la même route pour le retour. Qu'est-ce
que les gens peuvent être contents de rentrer chez soi.
Il était une fois ma Venise.
(p.s. ai revu V. avec plaisir plus d'une
fois par la suite).
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